Tout part d'un vieux souvenir de Grégoire Bouillier qui refait surface, un fait divers des années 80. Le cadavre d'une femme seule de 64 ans est retrouvé dans son appartement. À ses côté, en guise de lettre de suicide, un cahier nous apprend qu'elle a décidé de mettre fin à ses jours en cessant de s'alimenter, elle y consigne cliniquement, pendant 45 jours, l'évolution de son agonie.
Le mystère derrière la décision de Marcelle Pichon, devient une obsession pour l'auteur, qui se lance dans une enquête pour reconstituer la vie de cet ex mannequin à partir d'indices quasi inexistants. Son livre en constitue une sorte de journal, très épais (1276 pages au format poche) mais très agréable à lire, la gravité des sujets abordés est contrebalancée par un style léger, rythmé et plein d'humour, proche de la conversation.
Il y a beaucoup de digressions donc, de considérations sur les époques qu'a traversées Marcelle Pichon (l'occupation) et ses ancêtres (famines à répétition), sur ce qu'est une existence, comment les vies s'entremêlent et s'influencent. Peu d'indices, donc beaucoup de suppositions : l'auteur part à la recherche d'exemples dans la littérature romanesque, et va même, en désespoir de cause, jusqu'à faire appel à des méthodes pseudo-scientifiques : on a ainsi droit à des compte-rendus de radiesthésistes, astrologues (Elisabeth Teissier!), graphologues, etc.. Grégoire Bouillier s'intéresse aux personnes ayant croisé la vie de cette femme, étudie les contextes, recherche des explications, des circonstances atténuantes à des comportements parfois terribles. Peu à peu se construit une histoire possible de la vie Marcelle Pichon, et des raisons de sa sinistre conclusion.
C'est aussi (surtout ?), en écho, une introspection de l'auteur sur les réelles motivations qui l'ont poussé à s'investir dans cette enquête obsessionnelle. En cela, il continue son œuvre d'auto-fiction débutée dans son premier livre "Rapport sur moi", beaucoup plus court, et qui m'avait déjà marqué : on y retrouvait le même style et la même exploration des profondeurs de la vie.
Même si on a droit à des révélations et à des surprises, le véritable intérêt du livre, son projet, est peut-être l'acte de recherche en tant que tel, cette nécessité d'épuisement du sujet initial, qui sert de fil conducteur à une méditation de l'auteur sur ce que peut être l'existence, les motivations qui nous font désirer exister, et comment chacun s'accommode des petits ou gros traumatismes qui le construisent.